L’artiste girondin expose jusqu’au 22 novembre à la galerie MC2a. A travers trois œuvres complémentaires, il dénonce les problèmes climatiques et la tragédie des migrants. Visite guidée.
Il faut s’aventurer dans les locaux de MC2a, rue du faubourg des Arts, pour découvrir l’exposition « Eau delà de la frontière » de Laurent Valera. L’association travaille d’habitude avec des artistes africains mais a fait une exception pour ce quadragénaire bordelais, dont la thématique est justement le continent africain. Ce qui lui permet aussi d’aborder ses sujets de prédilection : l’eau et les frontières.
Dans la lignée de l’Arte Povera, Laurent Valera n’utilise que des matériaux préexistants pour son tableau-sculpture « Charriées ». Les morceaux de bois, ramassés au bord de l’estuaire de Pauillac, ont été collés tels quels sur la toile. Même la peinture vert d’eau était déjà présente. L’artiste a ainsi reconstitué le craquèlement naturel formé par la vase sèche dans l’estuaire.
« Tout est d’origine, je ne touche à rien », explique Laurent Valera, qui veut ainsi mettre sous les yeux des spectateurs une multitude d’histoires. Car ce bois a été utilisé pour construire des bateaux, des cabanes, un volet de maison… chaque morceau raconte quelque chose. « La magie du vivant se niche dans le quotidien, ça parait évident à tout le monde mais finalement 90% des gens ne comprennent pas, ne s’y intéressent pas », explique l’artiste. Il met sous les yeux du spectateur « plein de parcours de vie, qui ne parviennent pas à se lier ». Les interstices sont en effet trop larges pour que les morceaux de bois se touchent. Revient ainsi la notion de frontière.
Eldorado
Pour découvrir sa deuxième œuvre, il faut soulever une bâche noire. Et se retrouver face à une multitude de verres en plastique disposés sur le sol. En s’approchant, on devine les contours du continent africain. Pourtant, le reflet de l’œuvre au mur dessine l’Europe. Laurent Valéra joue régulièrement avec les anamorphoses. Les verres se reflètent ou non au mur suivant la quantité d’eau qu’il contiennent, et dessinent ainsi un nouveau continent.
Il aborde ainsi de façon légère une problématique lourde et douloureuse, grâce à des matériaux simples et une technique poétique, presque magique. « Utiliser ces matériaux simples, comme des verres en plastique, c’est aller à l’essence même de la problématique, simplifier à outrance », précise l’artiste. Les spectateurs sont touchés par cette installation, qui dénonce le mirage de l’eldorado promis aux migrants.
Pour Laurent Valera, le sens passe avant l’esthétique. « Je ne cherche pas qu’un aspect plastique, esthétique. Il faut que ça prenne corps, que ça incarne quelque chose ». Il délivre ainsi des messages dans chacune de ces œuvres. Avec « Lumières de Sirènes », le thème de l’eau est abordé, comme dans beaucoup de ses œuvres. Et notamment de sa pénurie. Un artiste engagé, donc, mais est-ce possible autrement?
« L’art est fondamentalement politique, tranche Guy Lenoir, directeur artistique de l’association MC2a, toute parole, qu’elle soit littéraire, politique, musicale… engage celui qui l’écrit. L’art pour l’art existe mais n’a aucune valeur ». Chez Valera, les œuvres sont de plus en plus engagées au fil du temps. Le déclic se fait après un an dans une résidence d’artiste à Bordeaux, offerte par Bernard Magrez. « J’y ai compris beaucoup de choses, et notamment la force de l’engagement de l’artiste », raconte Laurent Valera. L’actualité influe aussi sur son travail. La conférence COP21 sur le climat, qui débute dans un mois, va par exemple marquer l’artiste. « Après ça je vais devenir encore plus engagé », assure-t-il.
« L’art n’est pas une arme si dangereuse »
« Lumières de sirènes » a ainsi été réalisée en 2014, alors que des centaines de migrants périssaient en Méditerranée. « Dès que les médias annonçaient des nombres de morts, j’imaginais tous ces corps et toutes les histoires qu’il y avaient derrière. Ce fut alors l’évidence qu’il fallait faire quelque chose », se souvient Laurent Valéra.
Pourtant, l’art n’a pas toujours d’incidences sur le réel. La situation des migrants n’a fait qu’empirer depuis 2014. « L’art n’est pas une arme si dangereuse », admet Guy Lenoir. « Je n’ai pas la prétention de changer les choses avec mes œuvres, poursuit Valéra, mais il ne faut pas être défaitiste. Peut être que ça donnera envie aux spectateurs de comprendre, en parler, s’impliquer… La propriété de l’art c’est qu’on ne sait pas l’impact que cela va avoir. Vous pouvez avoir l’impression qu’une œuvre ne vous a pas marquée, mais elle reviendra plus tard. Cela permet d’ouvrir des portes. »
Remember me ! Vidéo de Laurent Valéra (extrait), 2013.
La troisième œuvre, « Remember me ! », représente le ressac d’un océan, dans une vidéo de 2,33mn passée en boucle. Des vagues s’entrechoquent et créent de l’écume sur une forme sphérique. La bande son alterne calme plat et bruits de vie : un cri de nouveau né, l’effervescence d’un marché… comme si le spectateur faisait le tour du monde, sans jamais apercevoir un visage humain. L’impression de forme sphérique est donnée par un tournage à l’aide d’une caméra GoPro, très près du sol, ce qui a déformé l’image.
Laurent Valéra a adopté le thème de l’eau depuis 2012. « On est aux prémisses de grands mouvements migratoires et un des éléments moteurs sera la quête de l’eau », explique-t-il. « Des initiatives personnelles aux documentaires récents émerge une nouvelle perception de l’eau et des problématiques environnementales, ce qui me conforte à travailler encore davantage sur ce sujet. Mes œuvres parlent de ces problématiques mieux que ne le feraient des mots ou des actions. En fait je fais de l’art car je n’arrive pas à exprimer mes idées par les mots ! », conclut l’artiste dans un éclat de rire.
« Eau delà de la frontière », Laurent Valéra. Du 29 septembre au 22 novembre à la galerie MC2a (Bordeaux).